Une passionnante étude de logistique urbaine sur l’OIN Euratlantique à Bordeaux

Le besoin exprimé par la Collectivité

L’Etablissement Public d’Aménagement (EPA) Euratlantique est l’aménageur d’une vaste opération urbaine autour de la gare Saint-Jean à l’occasion de l’arrivée du TGV en 2017. Celle-ci prévoit la création de nouveaux quartiers de ville mixtes visant 2 millions de m² à un horizon d’une quinzaine d’années. Comment mutualiser les flux et services et réduire les nuisances ?

Cette opération s’insère dans un tissu déjà urbanisé qui constitue une entrée importante dans l’agglomération bordelaise. Les nouveaux chantiers créeront donc une contrainte lourde sur un site déjà habité et traversé. Le maintien de la qualité de vie des riverains, au sens large, et des habitants et usagers des nouveaux quartiers, alors que ceux-ci resteront en chantier sur une période longue, est un facteur de succès identifié par l’EPA.

L’EPA a donc lancé en mai 2015 un Appel à Manifestation d’Intérêt (« AMI ») original, dont l’objet est de « réduire les nuisances générées par le développement des chantiers de constructions situés dans le périmètre de l’Opération d’Intérêt National [Euratlantique à Bordeaux]». Il souhaite pour cela « faciliter le développement d’une plateforme de logistique des chantiers au sein de laquelle pourront être mutualisés les flux et services de façon plus efficiente que si chacun des chantiers l’assurait seul en propre. »

La candidature de Sodexo et le rôle de Valeurs Ajoutées

Le groupe Sodexo, fort de ses références en gestion de bases-vie de chantiers dans le monde entier, a décidé de candidater.

Sodexo, dont le cœur de métier est le « soft service », s’est rapproché de Valeurs Ajoutées dès le stade de la candidature, pour qu’elle l’appuie dans le développement d’une offre originale, visant à instituer un véritable pilotage logistique d’un territoire partagé.

Précisément, Valeurs Ajoutées a apporté sa compétence urbaine et sa connaissance des besoins des chantiers ; elle a constitué un groupement d’industriels autour de Sodexo pour compléter l’offre de services de ce dernier, et coordonné cet important sous-ensemble de l’offre globale. Elle a largement contribué au contenu théorique et opérationnel de l’offre.

Le groupement des industriels

Sodexo s’était rapproché de Géodis (intégrateur logistique européen) et Systra (études de mobilité, principalement collective).

Valeurs Ajoutées a complété ce groupement en constituant autour de Sodexo une équipe d’industriels formé des entreprises Thalès (systèmes de pilotage de la ville et de la mobilité), Urbis Park (gestion de stationnement et de transport des personnels), Péna Environnement (entreprise bordelaise de gestion des déchets et matériaux de démolition), GT Logistics (logisticien fortement implanté), ICF Environnement (gestion des terres polluées), ainsi que le groupe d’enseignement supérieur bordelais Kedge (études sur la logistique urbaine).

Ernst & Young (modélisations financières) et Bird & Bird (conseil juridique) complétaient l’équipe.

Valeurs Ajoutées s’appuyait également sur Alpha-Logistics (Renaud Fontaine) et Michel Lefresne.

Principales conclusions de l’étude

A l’échelle de l’OIN, une approche territoriale pour un « chantier des chantiers » implique d’arrêter de concevoir la construction dans le périmètre de l’OIN comme une juxtaposition ou une mosaïque d’interventions et d’acteurs, isolés les uns des autres et opérant dans un espace classique, mais comme un chantier plus grand, intégrant tous les autres, et durant si longtemps qu’il s’agit en réalité d’une ville à la fois en construction et en fonctionnement.

Comment coordonner les logistiques et plus largement les activités de soutien aux entreprises de la construction ?

D’une part, il faut réussir à intégrer techniquement le soutien aux acteurs de construction, dans une logique territoriale et de chaîne d’activités.

D’autre part, il faut obtenir l’adhésion et la motivation des acteurs de la construction qui opèreront : comment stabiliser la règle ? Quelles pratiques en découlent à la fois pour la gestion commune de la logistique et la gestion de la logistique commune ?

Cette deuxième question est finalement apparue comme la plus difficile.

Les entreprises de construction ne prennent pas en charge l’organisation de leur logistique amont et aval

Les entreprises de réalisation, petites ou grandes, sont a priori organisées pour traiter leurs besoins logistiques ; la mise en place de l’organisation opérationnelle de production sur chantier est même une de leurs compétences principales.

Pourtant il n’existe pas chez ces acteurs, même les très grandes entreprises de BTP, de pratiques et de savoir-faire d’optimisation sur la manière de mobiliser en amont des chantiers les différentes ressources, matériaux, matériels, hommes, techniques, et même les informations, utilisés par les différents acteurs d’un chantier.

Sur un chantier, associer la tâche à l’environnement externe n’est jamais fait. Construire l’ordonnancement des tâches en tenant compte de leur environnement amont et aval n’est même pas une fonction des progiciels de planification couramment utilisés.

Et donc en pratique, les opérations logistiques à l’amont et l’aval du chantier sont prises en charge par tous les intervenants du chantier indépendamment les uns des autres, sans pilotage, a-fortiori territorial.

La stratégie d’une logistique urbaine des chantiers sur l’OIN

D’une manière générale, Valeurs Ajoutées a d’abord piloté une réflexion visant à retenir les fonctions qui présentaient un avantage à être mutualisées. Elle a mené une analyse multi-critères comportant l’évaluation de l’intérêt pour les riverains et habitants (objectif de la démarche), l’impact environnemental et l’intérêt des chantiers eux-mêmes.

Les fonctions retenues ont ensuite fait l’objet d’une quantification de leurs besoins logistiques. Cette étude (cf ci-après) s’est révélée complexe et à haute valeur ajoutée, pour les raisons indiquées plus haut, c’est-à-dire le manque de données fiables du fait du désintérêt des entreprises de construction pour la chaîne logistique externe au chantier.

A cette approche générale s’ajoutent des études spécifiques concernant les terrassements, matériaux de démolition, production de béton, déchets et pollutions, qui pourront non seulement optimiser leur collecte et desserte, mais également privilégier des objectifs de tri, valorisation et réemploi local.

Le stationnement et l’acheminement des personnels constitue également un point d’intervention possible, ainsi, enfin, qu’un certain nombre de services.

Sur ces bases, la stratégie d’une logistique urbaine des chantiers consiste, dans son principe, à remplacer une myriade de flux (desservant chaque chantier par des transports non dédiés à ce dernier), par des tournées locales optimisées, desservant tous les chantiers de la zone.

Dans un camion représentatif moyen, le taux de remplissage affecté à la livraison d’un chantier est un indicateur des avantages qui pourraient être attendus d’une logistique urbaine dédiée à l’OIN. Même cet indicateur apparemment simple est en réalité difficile à constituer, car il n’est pas suivi par les entreprises de construction.

L’approche que nous en avons faite néanmoins montre un potentiel considérable de diminution du trafic par mutualisation des flux à l’échelle locale.

L’intérêt d’une fonction de centralisation des livraisons externes, d’éclatement et d’optimisation des tournées locales est donc réel sur le plan des nuisances.

Cette fonction se combine avec deux réflexions : l’utilisation de moyens de transports alternatifs (train ou barge) pour l’amenée ou le retrait sur site des matériaux qui s’y prêtent et selon les caractéristiques du site (disponibilité de gares ou de ports, et à quoi ceux-ci sont-ils connectés) ; et le stockage, tri, valorisation et ré-emploi local.

Enfin, la mutualisation logistique des chantiers dans un quartier en construction nous est apparue comme devant être également étudiée dans un objectif d’usage à long terme, c’est-à-dire comme l’opportunité (exceptionnelle) de jeter les bases d’une logistique urbaine pérenne.

La possibilité d’un équilibre économique et l’adhésion des acteurs de la construction

La mise en place d’une stratégie ambitieuse de logistique coordonnée à l’échelle de l’OIN risque d’être identifiée en premier lieu comme un surcoût par les constructeurs.

En particulier, comme vu plus haut, celle-ci passe par la mise en place de plateformes intermédiaires, qui constituent effectivement une rupture de charge et une opération, donc un coût.

En réalité, nous avons la conviction que les chantiers seraient eux aussi les bénéficiaires d’un cadre nouveau de prestations logistiques et de soutien coordonnées.

Deux gains peuvent en effet être espérés pour compenser les surcoûts apparents d’une logistique urbaine.

Le premier est un gain de productivité des chantiers.  La production des chantiers est en effet constamment désorganisée par les effets d’une logistique plus subie que réellement intégrée à l’acte de construire, et elle-même perturbée notamment par les conditions de circulation.

De ce point de vue, l’acte de construire apparaît comme étonnamment en retard par rapport aux pratiques mises en place par les industriels, par exemple automobiles, où des fonctions logistiques externalisées sont à présent intégrées dans les usines, mêlées au cycle de production qu’elles alimentent et soutiennent.

L’excuse classique selon lequel un chantier est toujours un prototype masque une faiblesse de la pensée logistique dans un monde de la construction resté très traditionnel.

La perte de productivité due à cette logistique subie n’est donc pas identifiée dans les coûts des chantiers.

Le second gain consiste à générer une optimisation de l’organisation du transport pris dans sa chaîne globale, de l’usine jusqu’au chantier.

Autrement dit, un pilotage de la fonction transport, prise dés l’origine, permettrait une optimisation des coûts qui viendrait combattre le surcoût de la distribution locale finale.

La mise en place de cette fonction n’est évidemment pas simple. Il n’est pas envisageable d’imposer un transporteur unique et transnational à tous les intervenants d’un chantier, constructeurs et industriels. Une fonction de pilotage intégrateur de la fonction transport est cependant possible, mais elle suppose que les entreprises générales achètent les prestations à leurs sous-traitants en identifiant le coût et les modalités du transport, et qu’elles imposent certaines règles du jeu. Les gains générés par cette fonction intégratrice pourraient être partagés entre l’entreprise et son sous-traitant. Aller jusqu’à un fonctionnement sur le modèle bien connu du « compte pro-rata » sur les chantiers, serait sans doute intéressant.

De l’analyse de ces deux gains potentiels, on conclut (et cela ne surprendra personne) que le pilotage logistique des flux d’un chantier n’est pas une fonction isolable de l’activité de construction de ce dernier. Bien entendu, il représente au contraire une composante stratégique et critique de l’organisation du chantier.

Agissant sur les pratiques, le pilotage logistique du chantier et a-fortiori du territoire ne peut pas réussir sans s’intégrer à l’organisation du travail de chaque chantier, tout en l’amenant à évoluer.

Or, si des gains sont certainement possibles, les surcoûts et le surcroît de travail apparaîtront, eux, tout-à-fait certains aux acteurs de la construction.

Passer à l’optimisation globale de l’organisation logistique du territoire pourra a-fortiori apparaître au détriment de la rationalité ou des habitudes de tel ou tel acteur.

Faire évoluer les pratiques et mesurer les gains de productivité obtenus sur les chantiers est donc aussi une dimension de ce projet, et peut-être l’une des plus intéressantes.

Le problème de l’autorité sur les acteurs de la construction

L’analyse du groupement l’a donc conduit à considérer comme nécessaire l’existence d’un cadre juridique, contraignant les chantiers à recourir aux prestations mutualisées.

Plusieurs méthodes ont pu être envisagées dans cet objectif.

La première, envisagée dès le départ par l’EPA, consiste à mettre en place dans le règlement de ZAC un certain nombre de mesures portant finalement sur une « police » de l’espace public, principalement en rendant onéreux l’emprise ou certains usages de l’espace public.

Ce principe ne peut évidemment pas être extrapolé pour tendre à favoriser les prestations fournies par un opérateur plutôt qu’un autre, et il est apparu insuffisant au groupement.

Une seconde méthode reformule la question ainsi : comment construire un intérêt commun dès lors qu’une optimisation globale de l’organisation du territoire peut apparaître comme se faisant au détriment de tel ou tel acteur ?

Amener les ressources à pied d’œuvre, en situation productive, selon des critères plus larges, c’est aussi viser une performance plus globale que celle du seul chantier.

Il s’agit donc de partager le bénéfice de l’utilité globale supplémentaire produite (réduction des nuisances pour les riverains, pour les autres chantiers, pour les autres usagers du site, pour l’environnement).

Pour ce faire il faudrait commencer par mettre en place une grille permettant de quantifier la contribution négative de chaque chantier sur son environnement et ses voisins. Une fois déterminée, cette contribution négative serait compensable par l’utilisation de moyens mutualisés vertueux, ou par une contribution financière.

Un tel mécanisme de « monétisation » rendrait convergents l’intérêt global et l’intérêt particulier.

Cette approche n’a pas été retenue par le groupement, et aurait nécessité des adaptations règlementaires dans l’OIN.

La troisième approche était donc la recherche d’un cadre juridique contraignant, et robuste sur le plan légal, aux termes duquel les chantiers se verraient imposer l’usage de la fonction logistique mutualisée, et l’opérateur désigné par l’EPA.

La possibilité d’un tel cadre juridique a été explorée et confirmée par le groupement.

Cette approche aurait bien sur été complétée par des dispositions visant à garantir la valeur économique des prestations concernées et le caractère incontestable des prix, telles que des consultations transparentes de prestataires et des procédures de benchmarking.

L’EPA n’a pas souhaité donner suite à cette proposition. Elle constituait une évolution trop forte de sa position initiale, qui compte sur la dynamique vertueuse et l’intérêt partagé des acteurs, et elle aurait d’ailleurs nécessité l’abandon de la procédure de l’AMI et le lancement d’une nouvelle procédure.

A la suite de ces échanges, le groupement a préféré se retirer.

Il est cependant très intéressant de savoir qu’un cadre juridique est possible, qui permet à un aménageur de mettre en place une délégation de services mutualisés (de logistique et diverses prestations) sur le périmètre d’une ZAC ou d’un OIN, même s’ils doivent ne pas être considérés comme des services publics.

Sa mise en œuvre suppose, évidemment, une volonté politique de réduire les nuisances allant jusqu’à des obligations  fortes.

Approche des quantités annuelles relatives aux chantiers et des livraisons-sorties

Cette donnée d’entrée des études du groupement a constitué en soi un exercice intéressant pour Valeurs Ajoutées, car les informations ne sont pas disponibles en l’état, ce qui a imposé une méthode de travail originale, et démontre au passage la faible prise en charge de la dimension logistique des chantiers par les constructeurs.

L’étude avait pour objet de fournir au groupement une approche, sur la base de la programmation prévisionnelle fournie par l’EPA dans le cadre de l’AMI étalée sur une quinzaine d’années, des quantités annuelles relatives aux chantiers et des entrées-sorties en découlant : consommations de béton et nombre de livraisons, consommations d’acier et nombre de livraisons, évacuation de terrassements et nombre de départs, livraisons de corps d’états et nombre de livraisons, évacuation de déchets, personnel affecté aux chantiers.

Elle s’est concrétisée notamment par des graphiques ci-dessous, dont les chiffres sont volontairement floutés ici.

Conclusion

Cette étude passionnante est au cœur de l’actualité de nombreuses collectivités, à commencer par les chantiers de la société du Grand Paris.

Davantage que d’une simple plateforme physique ou de services « à la carte », on parle d’un pilotage logistique de territoire. Celui-ci doit prendre la mesure de l’échelle urbaine, par la dimension et par la durée des prestations. Il s’agit de piloter les flux générés par la construction d’une ville à la fois en travaux et en fonctionnement. Il doit procéder d’une analyse de la supply-chain réaliste et apportant des intérêts réels aux acteurs de la construction ; analyse qu’eux-mêmes ne réalisent pas ou pas toujours pour leurs propres chantiers ; c’est donc une démarche innovante.

Cette mutualisation logistique des chantiers peut être élargie en pensant les fonctions de soutien aux habitants et usagers du territoire : d’une part pendant la phase de construction, où, tant que la ville reste incomplète, un certain nombre de services sont encore manquants ; et d’autre part à long terme, en prévoyant sa capacité à devenir progressivement une logistique urbaine pérenne.

Cette étude ouvre peut-être aussi la voie à des réflexions nouvelles sur la possibilité d’un cadre incitatif (option 2), voire contraignant (option 3), pour toute logistique urbaine d’un territoire donné.

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3 thoughts on “Une passionnante étude de logistique urbaine sur l’OIN Euratlantique à Bordeaux”

  1. bonjour Christophe,
    sujet d’actualité, et manifestement pas anticipé par les différents donneurs d’ordre d’un territoire par manque de compétence, de moyens, et de capacité (gouvernance commune) de se coordonner. il pourrait y avoir un début quand une entreprise répond sur plusieurs chantier d’un territoire.

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